Généralement, on estime à tort ou à raison, que « les expériences de vie » de l’artiste, sont sa source d’inspiration, tel un crayon de couleur cassé, encore utile, pour colorier ce monde. Tandis que je termine l’écriture de quel art êtes-vous ? ; une question me taraude l’esprit : « L’artiste, doit-il inévitablement être éprouvé, pour créer ? Ses œuvres sont elles uniquement le résultat : de ses traumas, de sa personnalité, de son caractère acquis de son enfance, ou de son inconscient ? ». Pour illustrer mon questionnement, j’ai choisi Rembrandt van Rijn. Un artiste complexe, difficile à cerner, malgré la réalisation de ses 400 peintures, de ses 300 eaux-fortes et de 300 dessins. Comme une sculpture, que l’on contourne pour en connaître tous les aspects, je vous invite à faire un petit tour d’horizon, sur la vie du maître du clair-obscur, dont les œuvres inspirèrent, le Caravage.
Rembrandt une personnalité complexe
Pour mieux comprendre ce peintre, il faut connaître les quatre grands axes de sa vie :
- sa foi en Christ
- sa longue période d’égarement
- son retour vers Dieu
- et la découverte tardive de ses origines juives
Rembrandt est né en 1606 à Leyde, il est l’un des plus grands peintres de l’histoire de la peinture, notamment de la peinture baroque, et l’un des plus importants peintres de l’École hollandaise du XVIIè siècle. Il a vécu pendant le siècle d’or néerlandais, où la culture, la science, le commerce et l’influence politique des Pays-Bas ont atteint leur sommet.
Ce maître du « clair-obscur » n’est pas un peintre superficiel, il ne cherche pas à représenter l’esthétique, mais la vérité. De ses personnages pauvres et vieux, on perçoit, la miséricorde et l’empathie.
Rembrandt et sa foi
Le peintre néerlandais se démarque de la tradition classique, en osant sonder l’âme de ses sujets, ainsi que la sienne. Ses thèmes picturaux sont principalement les portraits, les autoportraits, les scènes bibliques et historiques. Rembrandt est le « peintre biblique » par excellence !
Suite à la réforme, la Bible est accessible au peuple, ainsi elle devient une source d‘inspiration artistique pour beaucoup de peintres.
Un peintre biblique et un artiste chrétien
Contrairement à beaucoup de ses contemporains, Rembrandt n’était pas qu’un « peintre biblique ». Il était avant tout un chrétien qui lisait quotidiennement les Écritures.
Le peintre était également en relation avec des pasteurs, tant réformés que mennonites.
Vers 1625, Rembrandt ouvre avec son ami Jan Lievens, son propre atelier. Les deux jeunes artistes ne tardent pas à avoir une notoriété et à être sollicités pour des commandes de peintures d’histoire de la Bible, très prisées à l’époque. L’Anesse de Balaam, un récit de l’Ancien Testament que peint Rembrandt en 1626, alors âgé de 20 ans, en est un exemple.
Très tôt, Rembrandt illustra des scènes bibliques, dans lesquelles il se représentait parmi les personnages, en tant que spectateurs ou participants.
Rembrandt : un illustrateur de la bible
On voit aussi que Rembrandt se familiarise avec la présence de Dieu, car ses tableaux sont de plus en plus profonds.
Généralement, il place ses personnages bibliques dans la pénombre, et emmène notre regard progressivement vers la lumière qui éclaire le sujet principal. Il nous conduit au cœur même de l’Évangile.
Dans le tableau de 1631, titré La prophétesse Anne lisant la Bible (ou portrait d’une vielle femme lisant la Bible), la vieille femme représentée est la mère de Rembrandt.
Il l’a souvent mise en scène sur ses toiles, en train de prier ou de méditer la Bible.
Dans cette œuvre, il rend hommage à l’ouvrage sacré qui éclaire la pièce. Lire les Écritures, est le sujet central de la toile.
Rembrandt comprend l’importance des Saintes Écritures, comme dans les Psaumes 119 : 105 et 130 :
Ta parole est une lampe pour mes pas, une lumière pour mon sentier… La révélation de tes paroles éclaire, elle donne de l’intelligence aux simples »
Psaumes 119 : 105 et 130
Son collaborateur Jan Lievens, ses élèves, ainsi que d’autres peintres après lui, reprendront aussi ce thème.
En 1641, il va plus loin, en proposant une œuvre titrée : Le pasteur Anslo et sa femme.
Un époux chrétien
À l’époque Rembrandt entretient des relations étroites avec les Mennonites. Un des membres lui louera un atelier, dans lequel le peintre va travailler de 1631 à 1635.
Rembrandt va vivre au sein de cette congrégation chrétienne, il y rencontrera sa femme Saskia van Uylenburgh la nièce de son bailleur Hendrick van Uylenburgh.
Il épouse Saskia en 1634. Ayant une situation financière plus aisée, Rembrandt achètera une des maisons de sa belle-famille en 1639, située à Jodenbreestraat, dans le quartier juif. Son succès venait principalement des riches commanditaires de la sphère de l’oncle de son épouse.
Le pasteur des mennonites s’appelait Cornélius Claesz Anslo. C’était un prédicateur charismatique, qui prêchait avec ferveur.
Rembrandt fit deux portraits de son pasteur : Portrait d’Anslo en 1640 et le Portrait de Cornelis Claes Anslo et de sa femme Aeltje Gerritsdr en 1641.
Dans ce tableau, Rembrandt représente la Bible et son écoute : le pasteur enseigne, tout en montrant de la main les Écritures ouvertes sur la table, et son épouse est réceptive à la Parole. Rembrandt décrit ici la foi Mennonite dans cet ouvrage sacré.
Un père veuf
Toutefois, la mort prématurée de sa femme Saskia, en 1642, et celles de trois de ses enfants, va marquer une période trouble dans la vie de l’artiste. Cette tragédie l’éloignera de la communauté mennonite, mais il
continuera à peindre des œuvres bibliques pour des raisons pécuniaires.
Bien que Rembrandt, ait grandit dans une famille chrétienne calviniste, il est possible qu’il n’ait pas été réellement converti au christianisme à cette époque, et que par la suite, il se soit simplement conformé à la religion de sa femme, comme son père avant lui.
Le côté obscur de Rembrandt
Suite au décès de son épouse, sa foi vacille. Il retourne à une vie païenne, et s’engage dans une relation illégitime avec une veuve, qui deviendra la nourrice de son fils Titus. Ils vécurent six ans en concubinage, et ce, au mépris des sommations de l’église mennonite (Hébreux 13.4 ; 1 Corinthiens 7.8-9). Rembrandt enverra par la suite dans un asile, la concubine encombrante, qui scandait devant la justice, qu’il lui avait faite une promesse de mariage.
En 1645, il s’enfoncera dans le péché, en remplaçant cette dernière, par une concubine plus jeune, Hendrickje Stoffels avec qui il aura une fille. Ils partagèrent 18 ans de vie commune.
On suppose aujourd’hui, que ses iniquités conjugales se justifient par le fait qu’en se mariant, il aurait perdu son héritage, qui lui venait de son épouse Saskia.
Rembrandt, en révolte contre l’église ?
De ce fait, Rembrandt avait abandonné l’église délibérément, car il ne s’était pas présenté aux convocations de celle-ci. Il aurait méprisé l’autorité spirituelle en refusant de s’expliquer sur sa vie amoureuse (Mathieu 18.15 ; Jacques 5.19, 20; Galates 6.1 ; Jude 1.22, 23).
« Rembrandt est retourné dans le monde ! », dira-t-on dans le jargon chrétien sans vouloir porter de jugement sur les actes du peintre (2 Pierre 2.20-22 et Romains 14.4).
Hendrickje succombera de la peste en 1663 et son fils Titus en 1668 (Romains 6.23).
Rembrandt aura vu deux de ses femmes, et quatre de ses enfants mourir avant lui.
Suite à ce long moment d’égarement, l’artiste désargenté reviendra à Christ, à la fin de sa vie.
De l’ombre à la lumière
En effet, « Le Retour du fils prodigue » est la dernière œuvre de Rembrandt peinte entre 1666 et 1669, l’année de sa mort. Dans cette parabole tirée de la Bible, le fils prodigue revient chez son père, après avoir dépensé tout son argent dans une vie de débauche (Luc 15), et le père pardonne au fils.
Rembrandt devenu vieux, traite ici du thème du pardon. Il faut bien avoir à l’esprit que c’était un artiste qui peignait la vérité et pas l’illusion.
Dans les bons comme dans les mauvais moments, il se représentait tel qu’il était : Authentique. Il ne cachait pas les choses moches de sa vie. Il ne vivait pas dans le déni.
Comme dans la Bible, rien n’est caché. Les exploits et les faiblesses des hommes sont exposés à la lumière. Nul homme n’est parfait, à part Jésus, nous avons tous péché (Jean 8.7).
Être chrétien ce n’est pas être parfait, c’est être intègre !
Van Gogh dira de Rembrandt, que : « pour peindre comme ça, il faut être mort plusieurs fois » !
La repentance du peintre
Rembrandt était un homme usé par le chagrin, qui peignit ce dernier tableau comme une main tendue, en demandant miséricorde au Créateur : « Seigneur, pardonne-moi, j’ai péché contre Toi, s’il te plaît, reprends-moi ! ».
Au seuil de la mort, Rembrandt partage avec nous, une autre image de Dieu, celle de la compassion. L’étreinte du père à son fils, est un acte symbolique du salut. Ils ne font qu’un. Le pardon et l’amour du père, ôte le péché et le poids de la culpabilité : c’est le symbole du Christ !
Retrouvailles et découvertes
Après la mort de Rembrandt en 1669, le notaire fit l’inventaire de ses biens et nota que le seul livre qui fut trouvé dans la maison de l’artiste, était sa Bible.
Hormis, ses œuvres et sa Bible, Rembrandt avait cependant laissé un manuscrit à Stella (une de ses compagnes). Celle-ci l’aurait ensuite donné à un groupe de la Kabbale. Ses mémoires ont été découverts et traduits en 1948, par un poète catholique, ami d’Israël, du nom de Raoul Mourgues. À travers cet ouvrage, on apprend qu’à l’âge de 17 ans, le peintre hollandais découvre les origines juives de son père.
Cette information répond à toutes les interrogations concernant les relations du peintre avec la communauté juive d’Amsterdam, ainsi que ses séries d’œuvres judaïques, notamment : la Torah, des portraits de Juifs et de rabbins.
Un portrait révélateur de Rembrandt
C’est en s’amusant à faire le portrait de son père, que le jeune Rembrandt reconnut les traits de sa descendance d’Abraham. Son père, s’appelait Hermann Gerritszoon, il était meunier du Rhin, fils de Gerrit, fils de Roelof. Il s’était marié à la mère de Rembrandt à l’église réformée de Calvin. Ainsi, son père d’origine juive, s’était uni à une femme protestante. Toutefois, le petit Rembrandt, n’avait jamais été élevé dans la tradition judaïque. L’artiste précisera lui-même qu’il n’avait pas été circoncis selon cette coutume, il était simplement un calviniste à part entière.
Ainsi, sans la peinture, il n’aurait jamais découvert ses origines.
Un portrait authentique du Christ
Cette découverte, l’attirera vers ce peuple méprisé et rejeté, il se sentira proche d’eux et cette communauté figurera régulièrement dans ses œuvres. Particulièrement, dans sa représentation si singulière du Christ.
En effet, Rembrandt, rencontre des difficultés financières au cours de l’année 1656. C’est en faisant une
évaluation de ses biens, qu’il trouve la Tête du Christ d’après nature, et qu’il s’interrogera sur la façon de représenter Jésus tel qu’il fut.
L’artiste va bousculer le statu quo, en proposant à ses contemporains un Christ plus réaliste, en opposition à des peintures plus conventionnelles.
Shalom !
Son projet pictural, est une bonne occasion, pour lui, d’exposer la vérité au monde, et d’affermir ce pont de réconciliation entre la communauté juive d’Amsterdam et les hollandais chrétiens. Car, dès 1603, la république des provinces (les Pays-Bas de l’époque), fut le premier pays d’Europe à permettre la liberté de culte aux juifs ; ils pouvaient enfin enseigner l’hébreu, sans crainte d’une inquisition.
Jusqu’alors, que cette communauté était sous la domination du catholicisme, et sous les regards méfiants des fondateurs du protestantisme Martin Luther et Jean Calvin.
Le XVIIe siècle fut pour Amsterdam, une période de prospérité économique et commerciale. Elle fut la première place bancaire d’Europe et de son temps.
Les nouveaux modèles de Rembrandt
Ainsi, pour se rapprocher des traits qu’aurait pu avoir un homme d’Orient à l’époque de la Bible, Rembrandt
peignit beaucoup de portraits de juifs.
Sa démarche détonnera, dans un pays où cette communauté est encore fréquemment persécutée. Rembrandt prendra un modèle d’origine Israélite. Le peintre juif messianique et son figurant juif judaïque feront preuve de courage et d’audace, car le thème du Christ est le symbole d’une approche Judéo-chrétienne.
Après la réforme protestante, le peuple d’Amsterdam devint majoritairement calviniste, modérément luthérien, anabaptiste, et quasiment plus catholique. Ces nouveaux chrétiens et ces descendants d’Abraham avaient en commun la lecture de l’Ancien Testament et ce sentiment de liberté religieuse. Cet héritage spirituel faisait partie intégrante de leurs histoires communes, de nombreuses œuvres de Rembrandt soulignent la proximité et les relations entre le monde judaïque et le monde chrétien réformé. Pour couronner le tout, une inauguration d’une grande synagogue eut lieu à Amsterdam en 1675.