Noël, Noël, Noël... Que signifie vraiment Noël ? Une simple fête commerciale ? Un rassemblement familial ? Ou une simple tradition religieuse ? En cette période de festivité, j’ai souhaité attiré votre attention sur la singularité de Marc Chagall. Un peintre célèbre, né en 1887 à Liozna, une petite ville de Biélorussie. Il a grandi dans une famille juive hassidique. Sa mère était épicière et son père marchand de harengs, son grand-père était précepteur et chantre à la synagogue. La famille Chagall allait quotidiennement au temple juif. Sa mère lui apprenait à lire et à aimer la Bible, au même titre que la Torah et le Talmud. En premier lieu, le peintre devait s’ajouter aux artistes chrétiens qui jalonnent « Artistes & culture : et le chrétien dans tout ça ? ». Toutefois, lors de la correction du manuscrit, ma correctrice me conseilla de le retirer. Voyons ensemble les raisons !
Marc Chagall, un peintre libre !
Avant tout, Marc Chagall de son vrai nom Moïche Zakharovitch Chagalov, n’a été rattaché à aucun mouvement artistique. Le peintre traversera tous les mouvements artistiques du XXe siècle, sans faire corps avec un groupe, même s’ils les fréquentent, sa peinture vive et colorée, reste un art à part entière, et se veut singulier. Marc Chagall était un artiste individualiste.
De même, sa culture judéo-chrétienne, ainsi que le folklore russe seront sa source d’inspiration. Il peint principalement, la condition de la communauté juive persécutée au travers de ses séries de Crucifixions.
Au début du XXe siècle, sa communauté, qui vivait dans un ghetto, fut soupçonnée d’espionnage par l’état-major russe. Marc Chagall et sa famille hébergeront souvent des Juifs expulsés, notamment venus de la frontière lituanienne.
Plus tard, l’artiste honorera ses origines « hassidique » dans beaucoup de ses œuvres, mais s’affranchira de ce contexte religieux, pour s’exprimer plus librement dans son art. Car la loi juive interdit toute représentation de forme humaine. Sa mère le soutiendra dans sa transgression en l’inscrivant dans une école artistique.
Quoiqu’il en soit, en 1907, il quittera Vitebsk, pour Saint-Pétersbourg, la capitale artistique de la Russie à l’époque. C’est une ville où il côtoie des intellectuels, et des artistes juifs. Il y développe son style pictural.
Marc Chagall, un artiste résilient.
Parallèlement à sa carrière artistique, sa vie sera jalonnée d’une succession de conflits mondiaux (la guerre de 14-18, la révolution russe, la 2e guerre mondiale…), ce qui l’obligera à fuir souvent entre Paris, Berlin, Moscou, et les Etats-Unis.
Ainsi, au début des années 1930, suite à une commande d’illustration de la Bible d’Ambroise Vollard (marchand et éditeur de livres), Marc Chagall voyage avec sa famille en Palestine.
Mais en 1933, il subira un autodafé de ses œuvres par les nazis à Mannheim.
À partir de 1937, il prend la nationalité française pour fuir l’antisémitisme de l’Europe centrale.
Après la 2e guerre mondiale, les œuvres de Chagall purent être à nouveau exposées en Europe.
En 1948, il s’installe à Vence, sur la Côte d’Azur, où il aide son ami juif Polonais le sculpteur Frans Krajcberg à partir pour le Brésil, sa famille ayant été disséminée pendant la guerre et sa maison occupée.
Durant ces périodes, il gagne en popularité et devient un artiste international, qui expose ses œuvres dans le monde entier.
D’ailleurs, les techniques de l’artiste se diversifient : gravures, mosaïques, vitraux. Il continue de peindre des décors, notamment le plafond de l’Opéra Garnier, en 1963.
Chagall, sous la rubrique « Et le chrétien dans tout ça ? »
Certainement, parce que ses œuvres tendent vers un art Judéo-chrétien. D’après ses écrits et ses déclarations, il ne se dit pas chrétien. Cependant, parmi les artistes juifs, c’est lui qui parlera le plus de la Bible et de Jésus dans l’art juif contemporain.
« Certes, si ce n’était pas un chrétien, c’était un peintre biblique alors ? », pensez–vous.
Et bien, pas du tout !
Commençons par son approche singulière, au sujet de la Bible et de Jésus-Christ :
Depuis ma première jeunesse, j’ai été captivé par la Bible. Il m’a toujours semblé et il me semble encore que c’est la plus grande source de poésie de tous les temps. Depuis lors, j’ai cherché ce reflet dans la vie et dans l’Art. La Bible est comme une résonance de la nature et ce secret, j’ai essayé de le transmettre… Pour moi, la perfection dans l’Art et dans la vie est issue de cette source biblique. Sans cet esprit, la seule mécanique de logique et de constructivité dans l’Art comme dans la vie ne porte pas de fruits ».
Marc Chagall. Source sur www.servir.caef.net
Effectivement, lors d’un colloque en mai 1963, Marc Chagall prononce un discours à Washington, et s’interroge sur la crise morale de l’Occident :
« … Si nous sommes émus au plus profond de nous-mêmes par la Bible, c’est surtout parce que c’est la plus grande œuvre d’art au monde, qui contient le plus haut idéal de vie sur terre ».
Ce texte est le résumé d’une introduction, écrite par François-Jean MARTIN, en vue d’une visite guidée du musée Marc Chagall à Nice. L’auteur s’est inspiré du catalogue du « Musée National, Message Biblique, Marc Chagall, Nice ».
Finalement, pas !
Si Marc Chagall se rapproche de la franc-maçonnerie vers 1912, sur l’invitation de son ami Guillaume Apollinaire, et tend à s’intéresser aux philosophies ésotériques (l’alchimie et la kabbale), il va s’attacher particulièrement à l’analyse des crucifixions de Jésus. Dès lors, il mettra en évidence la souffrance du peuple juif avec celui de Jésus sur la croix, dans ses tableaux.
Comme Rembrandt avant lui, il tentera d’établir une alchimie et non une dualité entre le judaïsme et le christianisme.
En effet, il considérait que si on est sensible, aux souffrances d’un Christ d’origine juive, on pourrait comprendre également, les afflictions du peuple juif.
Comme l’illustre, son tableau ci-dessous, de 1938, titré : La crucifixion blanche (ou ”White Crucifixion”).
De la même manière, Marc Chagall peint cette œuvre suite à la destruction de la synagogue de Munich et de celle de Nuremberg appelée : la nuit de cristal. Il y associe également la déportation des Juifs de Pologne. La nudité de Jésus est cachée par un châle de prière juive, tandis qu’une menorah brûle à ses pieds. Et tout autour de la figure centrale, il y a des scènes de réfugiés fuyant, un village et une synagogue en flammes.
En d’autres termes, Marc Chagall ne représente pas les scènes de la Bible et des crucifixions dans leur contexte historique, au contraire, il les représente dans l’actualité contemporaine.
Marc Chagall & Jésus
Pour toutes ces raisons, ses compatriotes juifs, lui ont souvent reproché sa possible conversion au christianisme, tant il était fasciné par Jésus. Il était probablement à la recherche de la révélation de la croix,
sur lequel « Jésus de Nazareth, roi des Juifs » avait été cloué.
Au cours des années de sa vie, Marc Chagall peint une grande série de crucifixions :
L’artiste avec Christ jaune en 1938, Descente de Croix en 1941, Obsession en 1943, en 1944 Le crucifié, The White Crucifixion, en 1948 Le Christ dans la nuit, Persécution en 1941, Christ crucifié et ressuscité, Apocalypse en Lilas-Capriccio, Transfiguration Exode, The Blue mariée, Crucifixion mystique en 1950, Christ dans l’horloge en 1960, Exodus, La crucifixion, Christ, la Vierge et l’Enfant en 1966, Pâques en 1968, Calvaire / Golgotha, Déposition de Jésus-Christ, Cathédrale of Reims, Sacrifice d’Isaac, Marc Chagall et Jésus, et Christ sur la croix en 1980.
Dans tous ses tableaux, on peut voir une superposition de sens multiples, toutefois, le thème de la souffrance lié à celui de la guerre est constant.
Chagall à la recherche de la croix ?
Par exemple dans La crucifixion en jaune de 1942, Marc Chagall s’inspire du tragique épisode du naufrage du Struma dans la mer Noire, au cours duquel plus de 750 réfugiés juifs trouvèrent la mort. Jésus est représenté en croix, et se détache du tableau, affirmant sa judaïté par le talith noué à sa ceinture et par les phylactères, fixés à son bras et à son front.
Vers 1930, la persécution par les nazies envers les Juifs se propageait, le peintre se tourna de nouveau vers la crucifixion, Marc Chagall utilise la personne Jésus, comme une métaphore pour les Juifs. Dans certains de ces tableaux, l’artiste se représentera lui-même en train de peindre sur sa toile le crucifié.
Enfin, Marc Chagall disait que pour lui, le Christ a été un grand poète, le maître dont la poésie a été oubliée du monde moderne. A ses yeux la figure du Christ symbolise la lumière du martyr, le véritable type du martyr juif.
Marc Chagall: un peintre réconciliateur du monde Judéo-Chrétien ?
Grand poète, maître, juif, rebelle, créatif, symbole universel de la souffrance, le Jésus de Marc Chagall est un homme sublime qui revient dans ses œuvres d’art comme une « obsession ».
En effet, il dira souvent que tout ce qu’il a créé, était dédié à Israël et au peuple juif.
D’une part, l’artiste voulait montrer à la communauté chrétienne, que les persécutions des Juifs dans l’Holocauste, étaient comparables à la persécution du Jésus juif, sur la croix. Il a vu Jésus sur la croix comme un symbole universel et reconnaissable de la souffrance humaine.
Un pont artistique, entre le judaïsme et le christianisme.
D’autre part, il voulait sensibiliser le monde à regarder la souffrance juive. Le symbole de Jésus sur la croix est si puissant, qu’il n’est pas resté indifférent, à Marc Chagall. C’est aussi une façon de lutter contre l’indifférence humaine et l’antisémitisme, il était nécessaire que tous comprennent l’histoire et les traditions juives.
Certains ont affirmé, que Marc Chagall était le seul artiste juif de sa génération, à engager une autre tradition religieuse sans trahir la sienne.
D’autres diront, que Marc Chagall n’était pas le seul artiste juif, à utiliser Jésus crucifié dans la peinture. Adolph Gottlieb, Emmanuel Mané-Katz, Max Weber, Samuel Bak, Mark Antokolsky, Max Liebermann, Abraham Rattner, et Mark Rothko en ont parlé. Néanmoins, aucun de ces artistes n’a abordé le Christ autant que Marc Chagall.
Finalement, le travail de la vie de Marc Chagall respire la fraîcheur, et le mysticisme. Ainsi, il utilise des symboles, pour communiquer à la fois sa culture juive-russe et ses émotions.
En définitive, Chagall finit sa vie à Saint-Paul-de-Vence, célèbre et reconnu mondialement.
Pour la commande des vitraux de la cathédrale de Reims, Marc Chagall proposera une mise en scène allégorique entre Abraham le père de la foi et Jésus-Christ le sauveur. Deux grandes figures de l’ancien et du Nouveau Testament réunis. Les moments clés de la vie d’Abraham sont représentés : son alliance avec Yahvé, et sa filiation avec le Christ crucifié, qui accomplit l’œuvre du salut. Ainsi le troisième élément, une tombe vivante qui se manifeste dans le rouge de la gloire, évoquant le sang de l’Agneau, le sang de Jésus.